Les montures s'agitent; l'orage les rend nerveuses. Tous vérifiant qu'elles ne se blesseront pas avec leurs entraves, mes yeux s'égarent vers l'entrée de la grotte où nous avons trouvé refuge et cherchent à percer le rideau de pluie à l’extérieur. Qui suis-je? Encore une fois, la question se heurte au voile de ténèbres qui a recouvert ma mémoire. Encore une fois, seul le néant répond à mes questions silencieuses.
Depuis après la guerre, il faudrait davantage que le tonnerre pour troubler le repos de ceux qui se sont endormis près du feu La caverne, quoique difficile d’accès offre un refuge sûr pour ceux qui la nuit ou la tempête surprennent dans cette partie de la montagne éloignée de Grisemuraille. Dormez compagnons, je veille. Encore une fois je monterai la garde puisque le sommeil se refuse à moi. Les voleurs que nous poursuivons, s’ils passent la nuit n’iront pas très loin. Les retrouver serra facile.
Les dernières flammes du feu, mourant, jettent des ombres incertaines alentours. Peu de monde y verrait au-delà de ce cercle de lumière faiblissante. Mais ce n’est pas un problème pour moi. Alors que je m’assieds un peu à l’écart du groupe de dormeur, je vois tout. De la queue des montures qui tressautent à chaque éclaire au visage un peu crispé de Mirela qui s’agite dans son sommeil en passant par les lèvre de Saryss qui murmure un nom. A quoi rêve-t-elle ? De la guerre ? A sa vengeance ? Ou bien encore à son ancienne vie? Se rendent-ils seulement compte de la chance qu’ils ont tous ? Quoi qu’ils aient perdus, leurs souvenirs perdurent à travers les rêves qu’ils font. C’est un luxe que je n’ai plus.
Encore une nuit seule avec mes pensées. Si j’arrivais à me rappeler ne serrais-ce qu’un détail. Un nom, une image ; n’importe quoi ! Tout plutôt que ce vide. La guerre. C’est tout ce dont je me rappel ; par fragments. Chaque nuit, j’essaie de me souvenir, mais c’est comme essayer de reconstituer une mosaïque alors qu’on ne dispose que de quelques carreaux.
Essayons une fois encore. Reste calme. Laisse les souvenirs couler en toi aussi loin que tu le peux. Peut-être que quelque chose de neuf remontera cette fois-ci… Le Droam et ma nouvelle vie, des combats, des images de la guerre,… Remonter plus loin. Concentre-toi ! La première chose dont je me souviens, c’est…, c’est…
…J’erre sans but précis et désorientée dans les rues d’une ville humaine. Ma cape dissimule difficilement les taches de sang qui maculent mes vêtements. La pluie a nettoyé mon visage et mes mains qui serrent ce qui reste d’un morceau de papier détruis par l’eau…
…J’essaie d’ouvrir une porte pas très solide fermée de l’extérieur qui donne sur une cour vide. Derrière moi, un petit escalier dont les marches poussiéreuses laissent voire que plusieurs personnes sont montées, mais que seulement deux sont redescendues. Mes propres traces sont humides de sang et ressortent nettement dans la pénombre…
…Dans un coin, une lanterne allumée, avec une enveloppe posée à côté. « Ouvre-là ». Les instructions sont claires. Voyons. (Je sais lire !?!)
« Si tu as trouvé cette lettre, c’est que tout ne s’est passé comme je (tu) l’espérais. Mais crois-moi (toi) sur parole, il vaut mieux ne pas se rappeler certaines choses.
Une nouvelle vie s’offre à toi. Profite de cette chance.
Tu es un vampire. Méfie-toi de la lumière du soleil et de…
Autrefois, tu étais une drow, tu t’appelais X… »
Maudites bêtes !!! Les rats ont mangés une partie de la lettre ! Je regarde autour de moi : rien d’autre sinon le carnage. Je dois sortir d’ici !...
…Un miroir ! J’ai frappé mon propre reflet. Mais alors, la créature que j’ai vue, c’est moi !? Les mains tremblantes, je ramasse un des éclats, osant à peine regarder. Oui, c’est bien moi qui suis ce monstre couvert de sang. Alors, c’est moi qui ai fait ce massacre ? Mais je ne me souviens de rien ! Je suis…, je suis… Je…
Je ne pas. Je ne sais plus ! C’est horrible ! Je ne me souviens même pas de mon nom. Comment ai-je pu oublier mon propre nom ? C’est, c’est… impossible ! C’est un cauchemar. Je dois me réveiller, quitter cet endroit. Des choses galopent à la périphérie de mon champ de vision. Une lampe allumée ! Trouver la porte et sortir d’ici.
…Je m’éveille dans une pièce inconnue où flotte une odeur métallique. J’ai mal partout, un goût désagréable sur la langue. Quelque chose me colle aux mains et au visage aussi. En me relevant, je dérape dans quelque chose de gluant. Du sang ! Il y en a partout dans la pièce, à terre, sur les murs, sur les meubles mis en pièce. Et des morceaux de corps aussi ! Mais que s’est-il passé ? Est-ce que ce qui a fait çà est encore ici ?
En me tournant pour sonder la pièce je sursaute : elle est là ! Couverte de sang, sa crinière blanche hirsute tombe devant son visage noir et ses yeux rouges sont braqués sur moi. Mais peut-être que si je ne bouge pas, elle partira ? Je cherche du regard quelque chose pour me défendre contre cette chose. Parmi les débris de mobilier, il y a un pied de table. Je n’aurai qu’une seule chance. Je saute sur l’arme improvisée, me jette sur la créature et frappe de toute mes forces…
…
Plus rien avant. Mais pourquoi ? Pourquoi je ne me rappelle rien ? N’avais-je pas une famille ? Je croiserais mon propre frère dans la rue que je ne le reconnaîtrais pas. Y a-t-il quelque part un homme, des enfants qui se demandent où je suis ? Et pourquoi une drow s’est-elle retrouvée impliquée dans la guerre ? Qu’ai-je donc fait de si horrible que j’ai préféré tout oublier ? Tant de questions qui restent sans réponses. Mais je sais au moins une chose : je finirai par me souvenir. J’en suis sûre. D’ici là, j’ai une autre vie.
L’aube ne va pas tarder et la pluie s’est arrêtée pendant que j’étais perdue dans mes pensées. Quel piètre veilleur j’ai fait cette nuit. Le soleil va se lever sur un nouveau jour de ma nouvelle vie. Laissons là les questions pour le moment. Nous avons des voleurs à poursuivre.
Accueil 
