Conclusion

Alors que le portail se referme sur les 13 serviteurs divins, Léa est toujours inanimée dans mes bras. Elle ne semble pas blessée, mais elle est anormalement pâle et son corps est glacé; comme si en la purgeant du feu infernal du Roi Ardent, l'archange avait pris une partie de sa chaleur. Je me tourne vers Diamando, mais elle est déjà penchée sur Everael avec Keytara à ses côtés.

Léa prend une inspiration un peu plus forte et des couleurs lui reviennent peu à peu pendant je laisse le soleil levant la réchauffer enveloppée dans ma cape. Avec beaucoup de précaution, je saisis sa main mutilée. La coupure est nette et déjà cicatrisée, comme si c'était une blessure ancienne. Il lui faudra du temps pour s'habituer, mais elle ne souffrira pas et pourra réutiliser sa main tout de suite. Diamando qui en a fini avec Everael me le confirme, elle est épuisée mais pas blessée. Avec la chaleur d'un feu et du sommeil, elle se remettra.

C'est alors que des lèvres de ma soeur reprenant conscience monte un gémissement pareil à celui d'une âme en peine. Ses yeux encore plein de terreur s'emplissent de larmes et tout son corps se met à trembler.
-M...monstr... Il... Il m'a obligée, j...je ne v...voulais pas, mais il m'a obl...igée à... à... Horri... , la fin de sa phrase est perdue dans les sanglots. Pauvre Léa, elle tout vu, en spectatrice impuissante, elle a assisté à tous les crimes du Roi Ardent. Ma pauvre soeur, physiquement, tu n'as presque rien, c'est vrai; mais ton âme a été mutilée. Sauras-tu te remettre des horreurs que tu as vue? Tout doucement, je commence à la bercer pendant que me reviennent les mots que notre mère murmurait pour me consoler autrefois.

Maman... A cette évocation, des larmes coulent aussi sur mon visage et je laisse libre cours à mon chagrin. Sur un col de la route du Nordheim, ton corps repose enfouis quelque part sous la neige. Dans cette tombe de glace, tu pourra enfin te reposer loin du mal et des intrigues divines. Ôh anges du tribunal, vous qui jugez les âmes des mortels, soyez cléments envers cette femme qui a tant souffert de son vivant. Ôh dieux, accordez enfin la paix à cette âme qui toute sa vie n'a été qu'un pion dans les jeux du pouvoir cosmique.

Léa tremble, tout son corps se révolte contre le traitement qu'elle a subit, son coeur saigne d'avoir vu tant d'horreur; elle a vraiment besoin d'être réchauffée. Mais je ne parviens tout simplement pas à trouver le courage de me relever. L'élimination de nos anciens compagnons, la mort de maman, la destruction de Fallcrest, et le fait de savoir que Léa et moi n'avons été créées que pour servir de clé à une porte. C'en est trop! Je suis fatiguée à présent. Fatiguée des préjugés des gens contre moi, de lutter contre la mort, contre un destin dont les chaînes m’enserraient un peu plus à chaque pas. Je voudrais simplement rester assise ici, au sommet du monde jusqu'à ce que celui-ci m'oublie et que je m'efface.

Keytara essaie de me relever, mais je secoue la tête. Diamando essaie de dégager Léa, mais je resserre ma prise, refusant de lâcher ma soeur.
-Ce monde est décidément trop laid, dis-je, je ne veux plus en être. La vie n'est qu'une cruelle farce dans laquelle nous ne nous attachons à des êtres que pour qu'ils nous soient ensuite arrachés de façon brutale!
-Mais ta soeur peut vivre, s'insurge Diamando.
-Vivre oui, mais à quoi bon? Nous ne vivons que pour alimenter un fleuve de larmes que nous nommons Destin et auquel les dieux s'abreuvent quand ils ne nous manipulent pas comme des pions dans leurs jeux cruels! la remarque est tellement cinglante, vibrante d'une colère à peine contenue et si proche de l'hérésie que Diamando recule comme si je l'avais giflée. Une main se pose sur mon épaule, m'obligeant à relever la tête pour rencontrer le visage d'Everael.
-A présent qu'Asmodée a été démasqué, toi et Léa êtes seule maîtresses de vos destinées. Si tu souhaite réellement mourir, personne ne pourra t'en empêcher; mais laisse ta soeur décider seule de son propre destin. Et tout doucement, il prend Léa dans ses bras et l'emporte vers l’ascenseur. Il s'éloigne de quelques pas, s'arrête et ajoute sans se retourner, Toutefois, pense que c'est maintenant plus que jamais que ta présence lui serra nécessaire... et il reprend sa marche.

Il a malheureusement raison. Je ne puis me révolter contre ceux qui jouent avec nos destins et décider pour Léa. Je dois mobiliser toute ma volonté pour m'obliger à me relever malgré l'aide de Keytara. Comme une somnambule, je marche vers le bord de la tour. Face à l'abîme, je contemple le monde à mes pieds, avec ses dangers, ses ennemis, sa dureté et ses injustices. Je ferme les yeux un moment, écoutant l'appel du vide dans le vent et sa promesse de soulagement immédiat. Je pends une dernière grande inspiration, et je me détourne du vide pour rejoindre Everael. Soit! Je vivrai donc encore un peu, pour Léa.